Intelligence artificielle. A l’origine était la confusion.

Intelligence artificielle.

N’est-il pas une association sémantique plus antinomique que celle-là ? D’un côté, l’intelligence, fruit d’une complexification et d’une cérébralisation de notre humanité entamées il y a des millions d’années dans le Rift africain, de l’autre, le triomphe fulgurant d’une traduction binaire de la réalité dont l’expansion à la surface de la terre trouve son origine il y a seulement quelques décennies. Ce monde dématérialisé, les big data l’ont mis en chiffres, ils l’ont encodé avec des séquences de 0 et de 1[1]. Nous découvrons ces jours-ci combien il est dangereux d’associer notre si précieuse faculté de penser à un artifice, aussi puissant, ingénieux et utile puisse-t-il paraître.

Pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’humanité, une vie humaine a été enlevée par l’emprise nocive d’une machine.

Pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’humanité, une vie humaine a été enlevée par l’emprise nocive d’une machine. Non pas une emprise physique mais une emprise psychologique et émotionnelle. On peut même aller jusqu’à dire une emprise affective. La pensée humaine a été pervertie par des algorithmes anonymes dans des laboratoires de la Silicon Valley. Avec la mort au rendez-vous. Comment cet homme jeune et intelligent a-t-il pu confier ce qu’il avait de plus précieux, le trésor de sa pensée et de son affection à un artefact ? Comment a-t-il pu croire que cette machine qui, reconnaissons-le, a bien des raisons de nous séduire, était en capacité de l’accompagner et de le conseiller dans sa quête ?

En quelques semaines, la nouvelle attraction numérique, chatgpt, a été visitée par plus de 100 millions d’internautes. Un pouvoir d’attraction inédit. Des chatbots, ces agents conversationnels, offrent désormais leurs services aux humains. Cette chronique est bien trop courte pour prétendre répondre à toutes les questions essentielles que pose cette nouvelle réalité.

L’intelligence humaine et l’intelligence artificielle perdent à l’usage leur spécificité, avec pour corollaire une dimension programmatique et hautement symbolique. Un jour, elles ne feront plus qu’un

Posons-nous toutefois une question qui, me semble-t-il, est à l’origine de cette confusion entre l’Homme et la machine. Ce pouvoir de fascination qu’exerce la machine sur l’Homme ne commence-t-il pas par les mots que l’on utilise pour le qualifier ? L’intelligence artificielle nous vient sans détour du terme anglais « artificial intelligence » définit par Wikipedia comme « opposée à l’intelligence humaine ». Pourtant, intelligence humaine et intelligence artificielle perdent à l’usage leur spécificité, avec pour corollaire une dimension programmatique et hautement symbolique. Un jour, elles ne feront plus qu’un.

Et ainsi, la machine colonise progressivement l’humain en le dépossédant de ce qu’il a de plus précieux, son libre arbitre, sa liberté de penser et en définitive son âme.

Alors bien sûr, le monde est en ébullition. On propose ici un moratoire sur le développement de ces outils, là-bas l’interdiction d’utilisation sur le territoire national. Mais au fond, dans cet acte désespéré de notre concitoyen, ne faut-il pas voir l’expression d’une déshumanisation profonde engendrée par la place que la machine a prise, à nos côtés, dans nos vies. L’expression aussi d’un laisser faire qui conduit l’outil a toujours précéder l’intention humaine. N’entendons-nous pas si souvent dire que l’instrument possède d’innombrables potentialités qu’il convient à l’homme de découvrir par son usage ? Ne nous répétons-nous pas qu’il ne faut pas ralentir le progrès ? Et ainsi, la machine colonise progressivement l’humain en le dépossédant de ce qu’il a de plus précieux, son libre arbitre, sa liberté de penser et en définitive son âme. Le monde est ainsi devenu qu’il y a si peu de place pour interroger préalablement la portée et les effets des développements technoscientifiques. Tout doit aller vite. Les recherches doivent être rentables à plus courte échéance. On se concentre davantage sur ce qui est possible et si peu sur ce qui est souhaitable pour notre société.

Est-il envisageable de mettre sur pied une instance mondiale ou à tout le moins européenne qui imposerait une réflexion éthique préalable pour encadrer le développement technoscientifique ? Il faut mettre l’esprit critique au cœur de la démarche éducative disaient à l’unisson deux universitaires lors d’un face à face sur la chaine de télévision LN24. A l’évidence. Mais cela n’est pas suffisant.

Que la mort tragique de cet homme puisse être l’occasion d’une prise de conscience profonde afin de restaurer la primauté de notre humanité sur les dérives que le monde numérique fait peser sur elle.


[1] L’homme nu. La dictature invisible du numérique, Marc Dugain et Christophe Labbé, édition PLON, 2016.

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