La sobriété est un impératif de survie.

Les réponses technoscientifiques ne suffiront pas face à la crise climatique.

Le diagnostic est désormais établi, incontestable et irréversible. Nous devrons nous passer, à brève échéance, des énergies fossiles dont la consommation effrénée depuis plus d’un siècle a durablement dégradé l’habitabilité de notre planète.

La question n’est donc plus de savoir ce qui doit changer mais comment changer. Pour être plus précis, comment nos sociétés pourront-elles arriver, à l’horizon 2050, à annuler les 50 milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES) émis annuellement alors que ces émissions continuent d’augmenter (+ 23,6 % depuis 2005) ? Nous le savons, si nous n’y arrivons pas, les conditions de vie de nos enfants et de nos petits-enfants seront lourdement précarisées et les inégalités entre les pays du nord et du sud deviendront explosives.

Changer l’équation qui régit notre civilisation moderne

Force est de constater que le réflexe technoscientifique de nos sociétés hyper-rationalistes a très vite investi cette question sans fondamentalement changer l’équation qui régit notre civilisation moderne. La poursuite d’un progrès matériel à travers la liberté totale d’un marché tout puissant n’est pas ou peu remise en cause.

Malgré certaines avancées notables, la réponse apportée actuellement à l’immense défi posé par le dérèglement climatique est très loin d’être satisfaisante. Que constate-t-on dans les nombreuses initiatives qui sont prises par le monde politique et par les décideurs économiques ? Le « technosolutionnisme » c’est-à-dire la confiance dans la capacité des nouvelles technologies à résoudre les grands problèmes du monde est aux avant-postes. Le discours ambiant nous fait croire que tous les problèmes pourront trouver des solutions dans des technologies meilleures et nouvelles. Très peu de place est accordée dans ce narratif à l’indispensable modération de la consommation et de la production. On va produire et consommer différemment, voilà tout ! Surtout, ne parlons pas de sobriété, terme qui dans certains milieux demeure encore un tabou et une insulte à la doxa néolibérale. Les experts du GIEC soulignent pourtant, dans leur dernier rapport, le caractère incontournable de la sobriété dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ils pointent aussi pour la première fois la nécessité de réguler la publicité.

Trois solutions en « trompe l’oeil »

Ces solutions technoscientifiques sont ambitieuses, voire orgueilleuses, et nous sont présentées « en trompe l’œil », occultant l’importance de la sobriété.

  • L’électricité remplacera bientôt l’essence dans les moteurs de nos voitures mais les métaux stratégiques qui composent nos batteries, présents également dans toutes les nouvelles technologies numériques, restent extraits par une consommation énergétique démesurée à laquelle s’ajoute la pollution des écosystèmes et les drames humains liés à l’activité minière. Petit détail, la Chine produit 85 % de ces ressources actuellement utilisées dans le monde.
  • Le carburant « vert » remplacera, nous dit-on, le Kérosène de nos avions et le fuel lourd de nos bateaux de croisière. On en est encore très loin[1].
  • Le recyclage de nos très nombreux déchets ouvre certes de nouvelles possibilités d’emplois mais le revers de la médaille est qu’il reste polluant et qu’il n’incite pas ou si peu à la modération et permet de rester dans une logique de consommation illimitée.

A côté de cela, certaines pratiques du système consumériste globalisé reste encouragées et dans le même temps décrédibilisent les efforts technologiques engagés et hautement financés par les pouvoirs publiques. Le calendrier commercial et le développement de l’e-commerce par exemple restent largement stimulés par une industrie publicitaire toujours plus envahissante pour doper les ventes.

« Une tentative de dissimulation toxique »

On voit bien que le monde politique reste très frileux à évoquer la sobriété comme matrice de leurs futurs projets de société. Pourquoi donc ne pas avoir un discours beaucoup plus affirmé sur la nécessité d’une société plus sobre? Il est évident qu’aujourd’hui encore, plus de croissance implique plus d’émission de CO2. Dans le même temps, on constate, comme le montre le New Climate Institute allemand dans une récente étude[2], que les engagements de réduction d’émissions sont rarement réalisés par les plus grandes entreprises des secteurs les plus polluants. L’ampleur de ce greenwashing  a même inquiété l’ONU, dont le secrétaire général, Antonio Guterres, lors de la dernière COP en Égypte, fustigeait « cette tentative de dissimulation toxique » des entreprises qui « pourrait faire tomber le monde de la falaise climatique »[3].

« Vivre tous simplement pour que tous puissent simplement vivre » (Ghandi)

Pour transformer notre société (sur)abondante en une société plus modérée, nous devons exiger de nos élus et des responsables économiques, par tous les moyens possibles, d’introduire dans leurs projets et leur communication la nécessaire sobriété qui doit s’inscrire dans notre projet de société et faire partie d’un nouveau récit visant à refonder un sens commun aux actions collectives et individuelles. Le Mahatma Gandhi, par l’exemple de sa vie, invitait à « vivre tous simplement pour que tous puissent simplement vivre ». Son combat non violent contre les ségrégations et les inégalités prend un sens nouveau aujourd’hui car vivre simplement devient également un impératif pour préserver l’habitabilité future de notre « maison commune » et assurer la survie de l’humanité.

Opinion parue le 7 mars 2023 dans les colonnes de la libre Belgique et sur le site LaLibre.be

[1] Pourquoi arrêter l’avion ne devrait plus être un débat, Bon Pote, site d’info sur le réchauffement climatique, 6/2/2023.

[2] Corporate climate responsability monitor 2023, New climat Institute, February 2023.

[3] Grandes entreprises et neutralité carbone : regrettable greenwashing, Isabelle de Gaulmyn, La Croix du 13/2/2023.


2 réflexions sur “La sobriété est un impératif de survie.

  1. Manu Kodeck

    Sobriété (la vraie)

    “Le mot sobriété sonne à vos oreilles comme une punition ? Les auteurs de cet ouvrage pratique, particulièrement éclairant, nous montrent en quoi la sobriété constitue une réelle solution pour sortir de l’impasse des crises naissantes liées en grande partie aux bouleversements environnementaux. L’heure est venue d’agir de façon à redéfinir plus humainement notre manière d’être au monde.”

    Vincent Liegey est ingénieur, chercheur interdisciplinaire, essayiste et conférencier autour de la décroissance. Il est coauteur de Décroissance (Tana éditions, 2021), d’Exploring Degrowth: A Critical Guide (Pluto Press, 2020) et d’Un projet de décroissance (Utopia, 2013). Il est aussi le cofondateur de Cargonomia, une coopérative de recherche et d’expérimentation sur la décroissance à Budapest.

    Isabelle Brokman est journaliste, réalisatrice et autrice. En 2016, elle a publié chez Solar une enquête sur l’agriculture industrielle : Savez-vous vraiment ce qu’il y a dans votre assiette ? Spécialisée dans les questions d’environnement, elle dirige la collection « Fake or Not », chez Tana éditions. En donnant la parole à des experts, les livres de cette collection décryptent l’impact de nos modes de vie et de consommation sur la planète.

    J’aime

Laisser un commentaire