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Conflit en Ukraine. Y aura-t-il des voix pour plaider l’apaisement plutôt que la rhétorique de guerre ?

« Si nous voulons la paix, il faut nous préparer à la guerre (…) sinon nous serons les suivants» plaide Charles Michel, président du Conseil européen, dans une récente tribune. Il évoque l’entrée de l’UE dans une « économie de guerre ». Emmanuel Macron envisage lui aussi de plus en plus ouvertement ces dernières semaines l’entrée en guerre de son pays, d’une manière ou d’une autre, et sa rhétorique est passée de celle de la colombe à celle du faucon comme le titrait récemment le journal Le Monde. Au même moment, dans une interview diffusée par la télévision suisse RSI, le pape François invitait Kiev à hisser le « drapeau blanc » et à «négocier» avec la Russie. « Je crois que le plus fort est celui qui voit la situation, pense au peuple, a le courage de hisser le drapeau blanc, pour négocier, (…) avant que les choses ne s’aggravent». Cette négociation, il la décrit comme « le courage de ne pas provoquer le suicide du pays ». Mais François est bien seul à parler de paix, il est bien seul à vouloir une logique de négociation pour éviter que le coût humain, déjà intolérable, ne s’alourdisse encore et encore.

Il est en effet frappant de constater que depuis le début du conflit ukrainien, tous les pays occidentaux ont été progressivement aspirés par la logique de guerre du président russe. Et aujourd’hui, la possibilité d’un conflit de la Russie avec un ou plusieurs pays baltes ou caucasiens se répand dans nos médias et avec lui l’inéluctabilité de la logique de guerre voulue par Vladimir Poutine. Aucune initiative de paix d’ampleur n’a été entreprise par les grandes puissances. Au contraire, le conflit est alimenté sans relâche par les armes occidentales et par 30 % du budget total de l’Etat russe. Mais la mise en place d’un processus de paix, nul ne s’en est fait l’écho, ou si peu, à l’exception du pape dont la franchise a été raillée et du président Erdogan.

On peut se demander pourquoi le langage des armes a progressivement étouffé celui de la diplomatie ? Il y a dans cette guerre, comme dans toutes les guerres, des enjeux prodigieux d’influence stratégique et économique qui rendent son règlement difficile. Pour autant, faut-il se cantonner à une lecture antagoniste de la réalité et considérer que ce conflit ne pourra être réglé que par la défaite russe plutôt que de prendre en compte et d’accepter dans sa complexité l’enjeu symbolique et identitaire que représente, pour la fédération de Russie, les pays d’Europe de l’est adossés à sa frontière et qui sont désormais aux portes de l’OTAN et de l’UE. Moscou déclare depuis des décennies qu’il ne veut pas de l’OTAN à ses portes. Qu’a-t-on fait de cette exigence ? L’ancien conseiller diplomatique du président français Jacques Chirac, M.Maurice Gourdault-Montagne, raconte comment les Américains ont sabordé une proposition de « neutralisation » de l’Ukraine faite par la France en 2006. Il était question d’une protection croisée de l’Ukraine par la Russie d’un côté, et par l’OTAN de l’autre, gérée par le conseil OTAN-Russie créé début des années 2000. C’était une manière de rendre l’Ukraine « neutre » tout en la protégeant dans son intégrité territoriale et dans sa souveraineté. Le conseiller diplomatique russe s’était montré favorable. Par contre, la secrétaire d’Etat américaine y était tout à fait opposée prétextant du fait que la France voulait bloquer l’adhésion de la deuxième vague des pays d’Europe centrale à l’OTAN. « C’est là que nous avons compris que l’intention américaine était d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN » conclut le diplomate français. En dépit du bon sens qui eut été de ménager la Russie sur son flanc occidental et de trouver une solution équilibrée et durable à la sortie de la guerre froide. La situation actuelle n’est que le résultat du pourrissement des relations russo-occidentales depuis 20 ans. Ce témoignage montre que des solutions diplomatiques restent toujours possibles mais pour cela il faut avoir le courage de s’y impliquer et être prêt à en payer le prix. Or, aujourd’hui, la spirale de guerre emporte tout sur son passage. Les demandes précipitées d’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne et à l’OTAN n’ont fait que souffler sur les braises du conflit armé. Faire du président russe un bouc émissaire ne servira que son projet expansionniste et despotique, et plus la logique de guerre se renforcera, plus il sera confirmé dans son rôle de sauveur de la nation face à l’occident.

N’est-il pas temps, dans nos démocraties européennes, de plaider pour un sursaut en faveur de la paix  et d’affirmer notre autonomie stratégique et diplomatique ? Pourquoi donc ne pas afficher un authentique désir d’apaisement ? Ce n’est pas une idée saugrenue ou naïve que celle-ci. Elle pourrait être portée avec force, tout en indiquant à la Russie, avec la plus grande fermeté et en remusclant dans le même temps notre capacité militaire, les limites que le monde occidental ne voudra jamais voir dépassées. En indiquant également à l’Ukraine la nécessité de penser dès aujourd’hui les conditions de la paix, autre que la défaite russe et son retrait du territoire ukrainien, au demeurant de plus en plus hypothétiques.

La guerre est une boucherie. Elle a déjà tué les populations civiles par dizaines de milliers et les soldats par centaines de milliers et endeuillé autant de familles. Les peuples ne veulent jamais la guerre car en définitive, c’est eux qui en paient le plus lourd tribut et pas leurs élites. Y aura-t-il des voix pour plaider l’apaisement plutôt que la confrontation et l’escalade meurtrière ? La pulsion de mort du Kremlin n’a-t-elle déjà pas fauché assez de vies ? Faudra-t-il encore attendre que l’ours russe envahisse la Transnistrie, l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud ou l’Estonie pour s’impliquer courageusement dans des pourparlers de paix et être moteur d’une pacification du conflit ? Il n’est pas trop tard mais il est grand temps si nous voulons éviter le pire.

Carte blanche publiée sur le site du Vif le 2 avril 2024.

À la Une

Un immense projet résidentiel en bordure d’une zone Natura 2000 à Louvain-la-Neuve. L’UCLouvain et les autorités communales répondent-elles vraiment aux urgences climatique et sociale ?

Carte blanche publiée par le collectif MobZ sur le site web du Vif le 19 mars 2024

Prenez le plus gros propriétaire foncier privé du Brabant wallon, ajoutez un collège communal verdoyant et plusieurs collectifs citoyens. Vous avez là les acteurs d’une pièce qui se joue en ce moment à Louvain-la-Neuve et qui a pour thème l’immense projet résidentiel qui doit être érigé sur 33 hectares situés en bordure du bois de Lauzelle, un site classé en zone Natura 2000. La perspective annoncée : 1.250 logements minimum et 3.500 nouveaux habitants, soit une hausse d’un tiers de la population actuelle[1].

Ce projet répond-il réellement à l’urgence sociale et climatique ?

Le projet Athéna-Lauzelle avait été présenté il y a quelques années comme un nouvel « écoquartier » devant finaliser l’urbanisation de la cité néo-louvaniste. Seulement, avec le temps, une nouvelle et incontournable actrice vient s’imposer dans cette pièce : l’urgence climatique. Celle-ci exige aujourd’hui une adaptation radicale de nos modes de vie, de déplacement et d’habitat, dont l’outil premier de planification est l’aménagement des territoires. Si ce projet reste louable à plus d’un titre, il ne peut être entrepris sans un questionnement profond sur l’opportunité du lieu, sur le public bénéficiaire, sur son ampleur, sur son impact environnemental et sur ses implications de mobilité. A l’heure actuelle, une partie de la population est interpellée par le peu de suites données aux promesses de « co-construction » du projet ou reste perplexe devant l’information qu’elle reçoit, partiale et étroitement contrôlée par le promoteur, l’Inesu SA, le bras immobilier de l’UCLouvain.

L’ancien garde forestier du site, Jean-Claude Mangeot, en poste pendant 40 ans, avertit lui aussi : « Ce projet va être véritablement impactant (…) tout le monde sait qu’il y aura une pression exercée sur le bois voisin et on le fait quand même ! ». L’interdiction européenne de porter significativement atteinte au réseau Natura 2000 et la politique du « Stop Béton » qui vise à freiner l’étalement urbain à partir de 2025 et d’y mettre fin en 2050 nous semblent bien peu considérées. Qu’en est-il de la biodiversité ? Qu’en est-il des risques de ruissellement vers le bois, et plus en aval vers les zones habitées ? Qu’en est-il de la réduction effective des émissions de gaz à effet de serre ? Et qu’en est-il du besoin, aussi essentiel que l’habitat, de conserver des terres agricoles productives ? 

Un projet « exemplaire ? Vraiment !

Ce projet est qualifié à cor et à cri d’« exemplaire », de « durable » et de « visionnaire » par le promoteur. Certes on aurait pu le concevoir moins bien que cela. Mais, quel objectif le justifie-t-il ? Celui du rendement financier ne devrait pas prendre l’ascendant sur les enjeux environnementaux et sociaux. Plus aujourd’hui !  S’il est vrai qu’il existe une demande de logement à satisfaire, ce projet constitue-t-il vraiment la meilleure option pour y répondre au moindre impact environnemental ? Avec l’impératif de transition dans un monde fini, l’équité doit primer sur la perpétuation de la croissance. Et si la croissance se poursuit néanmoins, il ne suffit pas de la verdir, il faut aussi l’orienter résolument vers les besoins prioritaires. A l’heure des dérèglements climatiques et de l’envol du coût social du carbone[2], l’impérative réduction des émissions devrait ainsi être consentie en priorité au bénéfice des personnes les plus vulnérables. Avec ce projet Athéna, si l’on en vient malgré tout à sacrifier la préservation de nos territoires, un tel quartier ne devrait-il donc pas aller d’abord à ceux-là de nos concitoyens qui ne disposent pas de logement ?

Avec l’impératif de transition dans un monde fini, l’équité doit primer sur la perpétuation de la croissance. Et si la croissance se poursuit néanmoins, il ne suffit pas de la verdir, il faut aussi l’orienter résolument vers les besoins prioritaires

Parler de prix doux est trompeur

L’intention de l’université de satisfaire d’abord une liste d’attente privée (plus de 900 personnes) augure d’un tout autre dessein et les annonces qui sont faites d’offrir des logements « à prix doux »[3] sont loin de garantir que ce projet sera à la mesure des enjeux sociaux véritables. « 40% des logements seront proposés à un prix en-dessous du prix du marché » nous dit-on du côté du promoteur. Rappelons que le prix médian d’une habitation dans la commune s’élève à 420.000 euros et que même à 10% sous le prix du marché, acquérir un logement dans le quartier Athéna restera réservé à une population aux revenus élevés. Derrière les effets d’annonce séduisants, c’est bien cette réalité irréductible du marché qui se cache. Une récente analyse des jeunes du mouvement ouvrier chrétien le confirme sans détour :  » Le problème (…) est moins la présence de logements disponibles que l’inaccessibilité grandissante pour une partie de plus en plus importante de la population. À ce jour, de nombreuses associations actives dans le droit au logement préfèrent parler de « crise de l’accès au logement » plutôt que de « crise du logement »[4].

Nous demandons à l’UCLouvain de réviser son projet

Nous sommes conscients qu’il faut du courage politique pour initier et porter, en partenariat avec les populations, des projets d’aménagement urbain et territorial à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux. Cela demande encore de bousculer l’ordre établi et les réflexes hérités du XXe siècle. De vraies alternatives sont possibles, et l’université dispose ici d’une opportunité unique de se positionner (réellement) à la pointe des transitions écologique et sociale[5]. C’est bien sur ce terrain-là que nous l’attendons.

Nous plaidons ici pour que ce projet soit revu pour infléchir l’impact écologique considérable qu’il aura sur le bois et pour que les logements proposés soient réellement accessibles à ceux qui ne peuvent actuellement pas accéder à la propriété.

L’enquête publique se clôturera le 19 avril. Nous plaidons ici pour que ce projet soit revu pour infléchir l’impact écologique considérable qu’il aura sur le bois et pour que les logements proposés soient réellement accessibles à ceux qui ne peuvent actuellement pas accéder à la propriété. Un projet d’une telle ampleur et d’un tel impact ne mériterait-il d’ailleurs pas une large consultation populaire ?

Raphaële Buxant, Thomas Durant, Yves Hallet, Jean-Paul Ledant, Guillaume Léonard, Pascal Warnier Pour le collectif MobZ

MobZ milite pour le droit au logement et la préservation de la nature et de ses ressources sur le territoire d’Ottignies-LLN. Il est membre d’Occupons le Terrain (OLT).


[1]10 434 habitants, chiffres décembre 2020 (https://www.olln.be/fr/actualites/31-133-habitants-dans-notre-ville).

[2] https://www.rtbf.be/article/le-cout-social-du-co2-bien-plus-eleve-questime-selon-une-etude-11058594

[3] Alexia Autenne, administratrice générale de l’UClouvain, Séance d’information au public, 21 février 2024

[4] https://joc.be/crise-du-logement-ou-crise-de-lacces-au-logement/

[5] https://uclouvain.be/fr/decouvrir/universite-transition

À la Une

La fiscalité avantageuse des voitures de société : un non-sens à l’heure de l’urgence climatique.

Nous savons que la fiscalité est un levier important dont dispose l’Etat pour influencer le comportement des citoyens et des entreprises. Augmenter les accises sur la vente des cigarettes a pour but de limiter leur consommation et ainsi l’impact de celle-ci sur la santé publique. Adopter une taxe environnementale sur certains véhicules polluants poursuit l’objectif de dissuader le consommateur d’en faire l’achat. Nous pourrions poursuivre encore longtemps cette énumération. L’Etat dispose donc d’outils pour orienter nos libertés.

A l’approche des élections, il n’est pas inutile de rappeler qu’un dispositif fiscal très populaire en Belgique apparait de plus en plus anachronique au regard des enjeux environnementaux de manière générale et plus particulièrement ici aux enjeux de mobilité dont plus personne aujourd’hui ne conteste l’urgente nécessité d’en réorienter l’essence, sans jeu de mot. Il s’agit du dispositif fiscal de la voiture de société.

L’avantage fiscal attribué en Belgique aux voitures de société coûte cher à l’Etat. Très cher. On peut se demander si aujourd’hui cette mesure reste légitime et doit dès lors être maintenue dans notre pays alors que nous savons très bien que l’automobile, même électrifiée, continuera dans les décennies à venir à avoir un impact environnemental très négatif pour une utilité sociale qui dans le contexte explosif de la crise climatique peut être contestée.

Le nombre de voitures de société s’élevait, selon le SPF Mobilité, à 288 679 véhicules en 2007 et à 424 642 véhicules en 2015. Il avoisinerait aujourd’hui les 650 000 véhicules. Selon plusieurs sources (Inter-environnement Wallonie, ULB, Bureau du Plan) le coût de cette mesure s’élèverait à un montant oscillant entre 2,1 milliards et 4,5 milliards d’euros, car elle représente un manque à gagner pour l’Etat sur les cotisations sociales, elle autorise une déductibilité fiscale et dispose d’un régime tva avantageux. Si l’on prend le montant médian, il équivaut à peu de chose près au budget annuel cumulé d’Infrabel et de la SNCB. Et la population qui en bénéficie est essentiellement la classe moyenne supérieure pour permettre des rémunérations ou augmentations de rémunérations avantageuses pour l’employé et l’entreprise.

Ces chiffres parlent d’eux-mêmes. L’usage de la voiture est encouragé par la fiscalité belge. La forte croissance des voitures de société en témoigne. Ce dispositif  fiscal est pourtant devenu de moins en moins défendable car il encourage un secteur qui continue de stimuler le cercle vicieux d’une mobilité sans limite et très invasive pour notre environnement. Tous les chercheurs qui ont travaillé le sujet, l’OCDE, la Commission européenne, sont plus ou moins arrivés à la même conclusion : c’est un moyen cher, injuste et inefficace de mener une politique de réduction des coûts salariaux et encore moins une politique de mobilité[1].

La Coalition climat appelle, pour sa part, dans son mémorandum qui présente ses priorités pour les élections de 2024, à une réforme fiscale pour que les épaules les plus larges contribuent à leur juste part et pour générer les recettes nécessaires pour investir dans la transition.

En finançant une telle mesure, l’Etat ne joue pas son rôle qui doit impérativement être, aujourd’hui, d’orienter une transition rapide et profonde de nos modes de vie en y mettant les moyens.

Dès lors, la révision de ce dispositif nous semble être une priorité à faire figurer au premier plan des programmes électoraux pour les élections fédérales du 9 juin prochain. Financer des politiques de mobilité ambitieuses passe aussi par une réaffectation des montants fiscaux aujourd’hui attribués à l’automobile vers des investissements massifs dans les transports publics et par l’incitation à un report « modal » de la voiture vers des mobilités plus douces et plus durables.

Tribune parue le 10 janvier 2024 dans les colonnes de la libre Belgique dans le cadre d’une page Débats/Ripostes consacrée à la voiture de société et le maintien de ses avantages fiscaux et en réponse à la tribune du président de la FEBIAC intitulée « Majoritairement électrique, les voitures de société constituent un levier capital pour accélérer le verdissement du parc automobile ».


[1] B.Henne,Voici la facture des voitures de société: au minimum 20 milliards d’euros en 10 ans, RTBF, 2019

À la Une

La théorie du donut, sauce Amsterdam

Illustration de Blaise Dehon (avec l’autorisation de La Libre Belgique)



Face à l’urgence de la crise écologique, la capitale des Pays-Bas a lancé un plan de relance basé sur cette nouvelle pensée économique associant justice sociale et transition écologique. Un exemple inspirant.

Nous avons besoin aujourd’hui d’un cadre nouveau pour orienter nos comportements et nos décisions, leur donner un horizon qui fait sens et sortir du doute et de l’angoisse qui paralysent et empêche d’agir. Cela fait deux siècles que notre système de pensée s’est forgé dans un monde en expansion. Aujourd’hui encore, nous croyons que la croissance économique est l’unique moyen pour engendrer plus de prospérité pour tous. Or, elle est devenue dégénérative, nuisible pour notre environnement et de plus en plus inégalitaire. Nous avons un cadre, devenu inopérant pour répondre à la question cruciale de l’habitabilité future de notre planète.

Une nouvelle boussole

Il est une théorie développée par Kate Raworth, économiste à l’Environmental Change Institute de l’université d’Oxford[1], qui mériterait d’être beaucoup plus largement diffusée et surtout enseignée dans nos écoles de commerce. C’est la théorie du donut. Elle offre une nouvelle boussole à l’économie. Cette théorie a été publiée pour la première fois par Oxfam en 2012. Selon son auteure, entre un plafond environnemental et un plancher social se dégage un espace sûr et juste pour l’humanité, dans lequel peut prospérer une économie régénérative et durable. Entre les limites extérieures et intérieures se dessine la forme reconnaissable de la célèbre pâtisserie. Pour la première fois, les sciences naturelles montrent à l’économie jusqu’où elle peut aller et la justice sociale, les besoins essentiels qui doivent être assurés pour l’ensemble de l’humanité. Dans la nature d’ailleurs, chaque être vivant n’a pas vocation à croître éternellement. La pensée économique classique a perverti ce principe fondamental du vivant en ouvrant la boîte de pandore. Produire au-delà du nécessaire et croître toujours plus a conduit au constat que nous connaissons : un épuisement de la nature et de l’être humain.

Selon l’économiste Kate Raworth, entre une plafond environnemental et un plancher social se dégage un espace sûr et juste pour l’humanité, dans lequel peut prospérer une économie régénérative et durable.

De nouveaux indicateurs

Ce cadre conceptuel permet de passer d’un système extractif qui appauvrit à un système inclusif qui régénère. Au cœur du donut se trouve des personnes dont les besoins vitaux ne sont pas assurés. Il s’agit par exemple des besoins en eau, nourriture, santé, équité sociale, logement, revenus et travail, éducation, expression politique, paix et justice ou égalité de genres. Ce premier cercle intérieur est le « plancher social » qui constitue le but à atteindre pour l’épanouissement de tous. Cet épanouissement ne peut exister au-delà d’un cercle extérieur que Kate Raworth appelle « le plafond environnemental » c’est-à-dire la limite au-delà de laquelle l’activité humaine et l’utilisation des ressources naturelles mettent en péril l’habitabilité de notre planète. Il s’agit notamment des changements climatiques, des changements d’occupation du sol, de l’appauvrissement de la biodiversité, de l’appauvrissement de l’ozone, de la charge atmosphérique en aérosols, de la pollution chimique, de l’acidification des océans ou de l’utilisation de l’eau douce. La théorie du donut permet ainsi de révéler les zones rouges de l’économie actuelle c’est-à-dire les besoins essentiels qui ne sont pas encore assurés pour l’ensemble de l’humanité et les équilibres planétaires qui sont sous pression. Ces nouveaux indicateurs sociaux et environnementaux viennent suppléer ceux que l’on connaît et qui ont colonisé la pensée économique. Il s’agit du taux de croissance du PIB, des rendements financiers ou des indices boursiers. Ils ne sont plus suffisants pour promouvoir un système économique juste et durable.

Le pari d’Amsterdam

La ville d’Amsterdam a fait le pari en 2020 d’établir un plan de relance inspiré du Donut en instaurant ce concept d’économie dans ses choix de politiques publiques. Elle a adopté une relance associant justice sociale et transition écologique. Après trois années, de nombreux projets ont été mis en œuvre par la cité portuaire néerlandaise. Les autorités locales ont développé des projets d’infrastructures, des politiques d’emploi et de nouvelles politiques pour les marchés publics, ainsi que des mesures d’aide pour les citoyens qui souhaitent se lancer dans des démarches responsables. Parmi ces projets, la construction d’une île sur le Lac Ijssel a débuté en janvier 2022afin de remédier à la crise des logements à Amsterdam. L’île comptera 8000 habitations dont 40% de logements sociaux à basse émission de CO2. Toujours dans le secteur de la construction, la ville promeut l’utilisation de matériaux plus durables et a introduit des «passeports de matériaux» qui identifient précisément les éléments constitutifs de chaque bâtiment. Au niveau des habitudes de consommation, la ville a mis en place des boutiques de seconde main, des services de location pour vêtements et outils et des repair cafés. Le «True Price» est un bon exemple de projet entrepris par des particuliers pour conscientiser les citoyens. L’idée est simple: les étiquettes des magasins montrent le vrai coût du produit mais également les coûts sociaux et environnementaux. De plus en plus de magasins, restaurants, cafés ou même supermarchés à Amsterdam ont décidé d’adopter cette approche[2].Pour soutenir toutes ces initiatives et travailler ensemble, un collectif de citoyens, d’entreprises et d’universités «l’Amsterdam Donut Coalitie » a été mis sur pied et répertorie déjà sur son site web (https://amsterdamdonutcoalitie.nl/) une centaine d’initiatives telles qu’un cimetière écologique (Huis te vraag), un marché circuit court et écologique à bas prix (Boeren voor buren), un mouvement de femmes pour une ville juste et équitable (Women make de city), la plantation d’une forêt alimentaire (Food Forest Living), un projet de gestion des surplus alimentaires (Healty & Affordable), la création de podcast sur l’économie donut (Doughnut talks) ou encore l’introduction du donut dans l’enseignement (Project onderwijs).

Le pari de la capitale des Pays-Bas est à saluer car elle a profité d’un moment de crise majeure pour inscrire la ville dans une nouvelle dynamique socio-économique et écologique. Une ville de près d’un million d’habitants s’est ainsi mise en route vers une économie juste et durable en y associant toutes ses forces vives. Un exemple assurément à suivre.

Opinion parue le 21 septembre 2023 dans les colonnes de la libre Belgique et sur le site LaLibre.be


[1] Kate Raworth, La théorie du Donut : l’économie de demain en 7 principes, Editions Plon, 2018.

[2] Amsterdam teste la théorie du Donut. La quoi ?, https://mrmondialisation.org/, 14 mai 2022.

À la Une

L’économie du Donut : une nouvelle pensée économique face à l’urgence absolue de la crise écologique

Source : Théorie du Donut : une nouvelle économie est possible, Oxfam France, Décembre 2020

Développer une économie du Donut, c’est oeuvrer pour un monde plus juste et plus durable.

Pour réformer, deux positions s’opposent

Les conséquences du dérèglement climatique sur nos sociétés sont chaque jour plus visibles. Pour y faire face, les solutions sont loin de faire consensus. Pour faire simple, deux positions s’opposent. La première prône une fuite en avant technoscientifique qui ne remet pas ou si peu en cause la société matérialiste et consumériste dans laquelle nous vivons (le tout à l’électrique en est un exemple). La seconde affiche une critique radicale à l’égard du système économique néolibéral et mondialisé. Nous n’arriverons pas, fait-elle valoir, à relever le défi du réchauffement climatique sans remettre en question ce système qui épuise la nature et les hommes et qui depuis plusieurs décennies accentue les inégalités. Et entre ces deux visions, la toute grande majorité de nos contemporains semble être dans une expectative de plus en plus inconfortable et gagnée par une anxiété sourde que les études psychosociales confirment à chaque nouvelle publication.

Nous hésitons à changer nos valeurs et comportements

Nos nations ne restent bien entendu pas inactives. Au premier chef, la commission européenne donne le ton puisqu’elle a débloqué 1000 milliards d’euros pour son Green Deal, pacte vert le plus ambitieux de la planète. Mais, que ce soit au niveau personnel ou sociétal, nous hésitons. Nous hésitons à nous engager pleinement pour transformer nos comportements et les normes et valeurs de nos sociétés, celles-là même qui ont mobilisé nos aïeuls au sortir de la 2e guerre mondiale. Nous hésitons car nous ne savons pas quel est le sens à insuffler à l’Histoire. Comme l’écrit Bruno Latour[1], cette quête n’est pas encore associée à quoi que ce soit d’assez enthousiasmant. C’est pourquoi, nous sommes, nous humains, imprégnés d’attitudes de résignation, d’inertie inquiète ou de velléité vague. Nous avons un cadre, nous dit encore le sociologue, devenu inopérant pour répondre à la question cruciale de l’habitabilité future de notre planète. Nous avons agi depuis 75 ans sans qu’il ne soit ébranlé. Mais il réagit désormais et avec une ampleur croissante, à toutes les échelles : virus, climat, humus, forêt, insectes, microbes, océans et rivières. Brusquement et maladroits nous ne savons plus comment nous comporter. Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains et l’extrême pauvreté, prévient lui aussi[2] : Nous ne parviendrons pas à rompre avec la croissance, ni à mettre en œuvre les pratiques de sobriété nécessaires à la permanence de conditions de vie authentiquement humaines sur terre (Hans Jonas) si nous ne changeons pas radicalement notre système de valeurs, notre cosmologie, nos cadres cognitifs.

Surexploitation de la nature et de l’humain au bénéfice d’une minorité d’êtres vivants

Réduire la nature et les êtres humains à leur seul rôle de ressource, voilà le terrible constat qui a rendu le système productiviste des pays occidentaux source de prospérité pour une poignée de nantis. Nous découvrons, ébahis, le prix exorbitant que notre terre et ses habitants doivent payer pour cela. En effet, 1% des plus riches de la planète concentrent aujourd’hui 50 % des richesses mondiales et produisent 50 % des gaz à effet de serre. La dette climatique des pays du Nord à l’égard des pays du Sud s’élève à 170.000 milliards de dollars (revue Nature). Ce système fondé sur le dogme de la performance et de la recherche insatiable de profits financiers travaille pour le bien-être d’une minorité d’êtres vivants et est assis sur 400 milliards d’esclaves mécaniques et numériques qui consomment une énergie fossile démesurée dont il faudra se passer à très brève échéance (Jean-Marc Jancovici). En surexploitant la nature et l’humain, nous avons dépassé les seuils vitaux de notre humanité. Les signes de ce dépassement se sont multipliés depuis quelques années : canicules et incendies, multiplication des inondations, explosion des inégalités, de la pauvreté et de la faim partout dans le monde.

Un nouveau cadre : la théorie du donut

Nous avons besoin aujourd’hui d’un cadre nouveau pour orienter nos comportements et nos décisions, leur donner un horizon qui fait sens et sortir du doute et de l’angoisse qui paralysent et empêche d’agir. Cela fait deux siècles que notre système de pensée s’est forgé dans un monde en expansion. Aujourd’hui encore, nous croyons que la croissance économique est l’unique moyen pour engendrer plus de prospérité pour tous. Or, elle est dégénérative, souvent écocide et de plus en plus inégalitaire. La théorie du Donut, développée par Kate Raworth, économiste à l’Environmental Change Institute de l’université d’Oxford[3], permet de passer d’un système extractif qui appauvrit à un système inclusif qui régénère. Selon cette auteure, entre un plafond environnemental et un plancher social se dégage un espace sûr et juste pour l’humanité, dans lequel peut prospérer une économie inclusive et durable. Pour la première fois, les sciences naturelles montrent à l’économie jusqu’où elle peut aller (plafond) et la justice sociale permet de définir les besoins essentiels qui doivent être assurés pour l’ensemble de l’humanité (plancher). L’humain et la nature deviennent la finalité de notre système économique. Dans la nature d’ailleurs, chaque être vivant n’a pas vocation à croître éternellement. Au contraire, il grandit et se stabilise à maturité pour assurer sa longévité. La pensée économique classique et le néolibéralisme a perverti ce principe fondamental du vivant en ouvrant la boîte de pandore. Produire au-delà du nécessaire, croître toujours plus, déréguler le marché, subordonner la nature, l’humain et l’Etat au fonctionnement des marchés financiers.

Au cœur du donut se trouve des personnes dont les besoins vitaux ne sont pas assurés. Il s’agit des besoins en eau, nourriture, santé, équité sociale, énergie, logement, revenus et travail, éducation, expression politique, réseau social, paix et justice, égalité de genres. Ce premier cercle intérieur est le « plancher social » qui constitue le but à atteindre pour l’épanouissement de chacune et chacun. Cet épanouissement ne peut exister au-delà d’un cercle extérieur que Kate Raworth appelle « le plafond environnemental » c’est-à-dire la limite au-delà de laquelle l’activité humaine et l’utilisation des ressources naturelles mettent en péril l’habitabilité de notre planète. Il s’agit des changements climatiques, des changements d’occupation du sol, de l’appauvrissement de la biodiversité, de l’appauvrissement de l’ozone, de la charge atmosphérique en aérosols, de la pollution chimique, de l’acidification des océans,  des cycles de l’ozone et du phosphore et de l’utilisation de l’eau douce. Les indicateur sociaux et environnementaux viendraient dès lors ajourner ceux que l’on connaît et qui ont colonisé la pensée économique actuelle: le produit national brut, le taux de croissance, les rendements financiers, les profits, les indices boursiers.

Un exemple concret : la ville d’Amsterdam

La ville d’Amsterdam a fait le pari en 2020 d’établir un plan de relance inspiré du Donut en instaurant ce concept d’économie dans ses choix de politiques publiques. Elle a adopté une relance associant justice sociale et transition écologique. Après trois années, de nombreux projets ont été mis en œuvre par la cité portuaire néerlandaise. Les autorités locales ont développé des projets d’infrastructures, des politiques d’emploi et de nouvelles politiques pour les marchés publics, ainsi que des mesures d’aide pour les citoyens qui souhaitent se lancer dans des démarches responsables. Parmi ces projets, la construction d’une île sur le Lac Ijssel a débuté en janvier 2022afin de remédier à la crise des logements à Amsterdam. L’île comptera 8000 habitations dont 40% de logements sociaux à basse émission de CO2. Toujours dans le secteur de la construction, la ville promeut l’utilisation de matériaux plus durables et a introduit des «passeports de matériaux» qui identifient précisément les éléments constitutifs de chaque bâtiment. Au niveau des habitudes de consommation, la ville a mis en place des boutiques de seconde main, des services de location pour vêtements et outils et des repair cafés. Le «True Price» est un bon exemple de projet entrepris par des particuliers pour conscientiser les citoyens. L’idée est simple: les étiquettes des magasins montrent le vrai coût du produit mais également les coûts sociaux et environnementaux. De plus en plus de magasins, restaurants, cafés ou même supermarchés à Amsterdam ont décidé d’adopter cette approche (Amsterdam teste la théorie du Donut. La quoi ?, https://mrmondialisation.org/, 14 mai 202). Pour soutenir toutes ces initiatives et travailler ensemble, un collectif de citoyens, d’entreprises et d’universités «l’Amsterdam Donut Coalitie » a été mis sur pied et répertorie déjà sur son site web (https://amsterdamdonutcoalitie.nl/) une centaine d’initiatives telles qu’un cimetière écologique (Huis te vraag), un marché circuit court et écologique à bas prix (Boeren voor buren), un mouvement de femmes pour une ville juste et équitable (Women make de city), la plantation d’une forêt alimentaire (Food Forest Living), un projet de gestion des surplus alimentaires (Healty & Affordable), la création de podcast sur l’économie donut (Doughnut talks) ou encore l’introduction du donut dans l’enseignement (Project onderwijs).

Le pari de la capitale des Pays-Bas est à saluer car elle a profité d’un moment de crise majeure pour inscrire la ville dans une nouvelle dynamique socio-économique et écologique. Une ville de près d’un million d’habitants s’est ainsi mise en route vers une économie juste et durable en y associant toutes ses forces vives. Un exemple assurément à suivre.

Imposer dans le débat public la nécessité d’un changement sociétal

C’est pourquoi, en tant que citoyen, mandataire publique, organes de presse, entrepreneur, investisseur, nous avons notre rôle à jouer, chacun, chacune avec nos charismes propres pour faire basculer un système devenu inopérant face aux défis de notre temps et aider à établir un système mobilisateur et porteur d’espoir. Nous savons que de nombreux métiers vont disparaître pour laisser la place à de nouveaux métiers au service de cette espace durable et juste, que l’aménagement des territoires devra profondément évoluer, que nos systèmes éducatif, de santé et alimentaire auront à se réformer, que notre fiscalité devra être au service de la durabilité de nos écosystèmes humains et environnementaux et non plus des marchés financiers, que notre mobilité devra devenir bien plus douce. Et pour soutenir et accompagner cette révolution sociétale, des ressources considérables devront être mobilisées par les autorités publiques. Nous pressentons que ces changements sont d’une urgence absolue mais nous devons encore nous en convaincre et puis surtout agir en conséquence. Les échéances pluri-électorales de 2024 nous donneront l’occasion d’imposer dans l’espace publique un débat sur la nécessité de ce changement sociétal. Saisissons-en l’opportunité dès aujourd’hui !


[1] Bruno Latour et Nikolaj Schults, Mémo sur la nouvelle classe écologique, Editions La Découverte, 2022.

[2] Olivier De Schutter, Changer de boussole. La croissance ne vaincra pas la pauvreté, Editions Les Liens qui libèrent, 2023

[3] Kate Raworth, La théorie du Donut : l’économie de demain en 7 principes, Editions Plon, 2018.

À la Une

Et si on se détachait de nos smartphones pour goûter au monde réel ?

Nous passons cinq heures par jour sur nos smartphones dont deux tiers sur les réseaux sociaux, et nos enfants de deux ans, déjà une heure. Psychiatres et pédiatres alertent des conséquences néfastes de l’envahissement des écrans dans nos vies.

Une voiture s’est arrêtée au beau milieu de ma rue. Mon attention est soudainement attirée par le conducteur et sa passagère, tous deux le regard rivé sur leur smartphone. Je les observe. Ils cherchent leur chemin. La scène dure plusieurs minutes. Ils repartent enfin, hésitants. Ils n’ont vraisemblablement pas trouvé le bon itinéraire. Cette scène, nous en avons tous été un jour témoin. L’accès sans limite et en tous lieux au réseau internet nous procure ce sentiment de tout pouvoir connaître dans l’instant, sans l’aide de quiconque. Il nous donne l’impression de toute puissance mais il génère aussi un insidieux isolement social. Combien de fois ne sommes-nous pas surpris en rue par ces piétons qui errent, yeux fixés sur l’écran et casque collé sur les oreilles, marchant à tâtons, comme hypnotisés, absents de ce monde. On les appelle des smombies, contraction de smartphone et zombie. Ou lorsqu’un convive au cours d’un repas plonge sur son appareil pour répondre à une question qui se pose, s’isolant de la tablée. Cet écran qui instruit fait tout autant écran avec le monde réel.

Hyperconnecté mais « alone together »

On s’en remet donc, en ce début de 3e millénaire, en toutes choses, à un artefact technologique, dans un chacun pour soi irrésistible. On est hyperconnecté mais alone together comme l’écrit l’anthropologue américain Sherry Turkle. Cette fenêtre ouverte sur le « grand nuage » dit une vérité qui depuis les temps immémoriaux et jusqu’aux portes du XXIe siècle s’élaborait à travers le partage d’une multitude d’interactions sociales.

Nocivité d’un excès d’écran

Les écrans ont depuis bien longtemps éteint le réflexe que nous avions tous au siècle passé de recourir à nos contemporains. Ces quelques exemples montrent combien l’interface virtuelle modifie le rapport de l’homme au réel qui devient ce que l’instrument en donne à voir. Ce « techno-prométhéisme » narcissique et addictif, l’homme s’en nourrit désormais et son rapport au monde et aux autres, il le délègue au cloud lointain et anonyme et il perd dans le même temps ce maillage humain essentiel, nourricier, véritable poumon de la vie sociale. Nous passons désormais près de 5 h par jour sur nos smartphones dont deux tiers sur les réseaux sociaux et nos enfants de 2 ans, déjà une heure[1]. Nombre de pédopsychiatres, de pédiatres, d’enseignants relèvent les conséquences néfastes de la présence envahissante des écrans dans la vie des jeunes. Elle augmente les troubles de l’attention, retarde l’émergence du langage, nuit à une socialisation adaptée et plus globalement génère des incidences majeures sur le développement des fonctions cognitives[2]. Nous ressentons tous la nocivité d’un excès d’écran, de l’« hyper-attachement » qu’il engendre, mais nous sommes sous influence puisque bien souvent incapables de nous en passer. Nous en séparer un temps peut pourtant nous permettre de jauger notre dépendance voire notre addiction et d’ouvrir les yeux  sur ce dont il nous prive d’essentiel : nos liens sociaux réels et authentiques, indispensables à la vie.

Le plaisir des contacts réels

Les beaux jours reviennent, ensoleillés et aux senteurs d’été. Nos parcs, nos forêts, nos campagnes, nos cités historiques, nos terrasses nous tendent leurs bras. N’attendons pas le 6 février 2024, prochain safer internet day[3], abandonnons nos smartphones pour redécouvrir tout le plaisir des contacts réels et authentiques, des flâneries bucoliques, sensorielles et surprenantes. Goûtons plus librement à tous ces petits moments merveilleux qui jalonnent une journée et l’enrichissent, sans écran et sans l’attrait irrésistible des notifications, sms ou appels téléphoniques. Simplement, pleinement et librement en résonance avec le monde réel  et sensible, et avec nos contemporains auxquels on peut apporter toute notre attention sans qu’elle ne soit accaparée par le diktat de l’écran.

Opinion parue le 29 juin 2023 dans les colonnes de la libre Belgique et sur le site LaLibre.be


[1] On peut lire ces chiffres sur le site data.ai qui établit des rapports en la matière.

[2] L’homme nu, la dictature invisible du numérique, M.Dugain et Ch.Labbé, Robert Laffont 2016

[3] Journée sans internet

À la Une

Voyages en avion : le monde politique doit changer de discours !

Selon le GIEC, chaque personne, par ses activités, devra limiter ses propres émissions à moins de 2 tonnes d’équivalent CO2 par an alors qu’elle en émet aujourd’hui 8.4 tonnes. Un vol A/R Bruxelles-Rome émet par passager 0.47 Tonne d’équivalent CO2, Un trajet en TGV Bruxelles-Marseille émet quant à lui 0.08 T. ©Jean Luc Flemal

Le ministre wallon Adrien Dolimont veut maintenir la croissance des déplacements en avion. En totale opposition avec les constats et recommandations du GIEC.

Le ministre wallon des aéroports, Adrien Dolimont (MR), a tenu récemment dans La Libre Belgique des propos pour le moins surprenants à l’heure où les effets délétères du réchauffement climatique se font à nouveau sentir dans le sud de l’Europe et que le GIEC prévient que la fenêtre d’opportunité pour les atténuer sera brève[1] .

Monsieur Dolimont affirme en effet que « priver les gens de libertés de déplacement, ça n’a pas de sens. Tant que des solutions n’existent pas, sur le court terme, on ne va pas culpabiliser les gens parce qu’ils voyagent en avion ». En d’autres mots, pour le ministre wallon, il n’est pas question de réduire la croissance des déplacements en avion. On ne touche pas à la sacro-sainte liberté individuelle. Seules les solutions technologiques et énergétiques, laisse-t-il entendre, permettront de réduire l’impact de l’aérien sur les émissions de CO2.

En temps normal, ce discours aurait été tout à fait audible car un ministre en charge des aéroports a pour mission de promouvoir l’activité aéroportuaire. Mais nous ne sommes plus en temps normal. Et c’est bien pour cela que les propos du ministre, si ils sont responsables au regard de ses prérogatives, ils ne le sont pas du tout aux yeux de la situation que nous vivons car chaque kilo de CO2 épargné aujourd’hui participe à la lutte contre le réchauffement de notre planète.

Plutôt que d’inciter nos compatriotes à voyager modérément, notre édile leur adresse le message contraire et lui apporte une caution officielle : « Surtout ne changez rien, continuez d’exercer pleinement votre liberté de voyager ! ». Pourtant, nous savons qu’il faut réduire drastiquement  toutes les émissions de gaz à effet de serre et donc aussi celles issues du transport aérien.

Notre ministre aurait pourtant pu délivrer un tout autre message à La Libre. Un message en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique. Voici ce qu’il eut été courageux de déclarer :

« Le secteur aérien est un secteur qui contribue au réchauffement climatique. C’est pourquoi, dans le cadre de la politique de transition durable que nous menons en Wallonie, nous souhaitons limiter la croissance des activités aéroportuaires. Si je comprends que nos compatriotes aiment ou doivent se déplacer à l’étranger en avion, je me dois de les responsabiliser sur leur contribution, par ces déplacements, aux émissions de GES. L’impérieuse nécessité de limiter ces émissions à 1,5 degré en 2050 nous impose de modifier dès à présent nos modes de vie. Je vous informe donc que pour respecter cette norme, chaque personne, par ses activités, devra limiter ses propres émissions à moins de 2 tonnes d’équivalent CO2 par an alors qu’elle en émet aujourd’hui 8.4 tonnes[2]. Et pour vous aider à agir de façon responsable, il me semble opportun de rendre publique quelques valeurs d’émissions produites par les vols aériens et les trajets ferroviaires. Un vol A/R Bruxelles-Rome émet par passager 0.47 Tonne d’équivalent CO2, un vol Bruxelles-New-York 1.9 T, un vol Bruxelles-Tokyo 3.1 T et un vol Bruxelles-Sydney 6.0 T. Un trajet A/R en TGV Bruxelles-Marseille émet quant à lui 0.08 T et un trajet en train ou en voiture (3 passagers) Bruxelles-Rome émet 0.17 T. J’invite donc chacun et chacune à trouver un nouvel équilibre et à agir en conscience, en réduisant progressivement ses émissions d’équivalent CO2.».

C’est cette implication que nous attendons de nos politiciens car pour préparer la population au grand changement à venir, c’est aujourd’hui qu’il faut adapter le discours politique pour inciter toutes les forces vives de notre pays à se mettre en route, sans délai, vers un nouvel équilibre de vie.

Opinion parue le 4 mai 2023 dans les colonnes de la libre Belgique et sur le site LaLibre.be


[1] Le GIEC, urgence climatique. Le rapport incontestable expliqué à tous, Sylvestre Huet, Tallandier, 2023.

[2] https://co2.myclimate.org/

À la Une

Intelligence artificielle. A l’origine était la confusion.

Intelligence artificielle.

N’est-il pas une association sémantique plus antinomique que celle-là ? D’un côté, l’intelligence, fruit d’une complexification et d’une cérébralisation de notre humanité entamées il y a des millions d’années dans le Rift africain, de l’autre, le triomphe fulgurant d’une traduction binaire de la réalité dont l’expansion à la surface de la terre trouve son origine il y a seulement quelques décennies. Ce monde dématérialisé, les big data l’ont mis en chiffres, ils l’ont encodé avec des séquences de 0 et de 1[1]. Nous découvrons ces jours-ci combien il est dangereux d’associer notre si précieuse faculté de penser à un artifice, aussi puissant, ingénieux et utile puisse-t-il paraître.

Pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’humanité, une vie humaine a été enlevée par l’emprise nocive d’une machine.

Pour la première fois peut-être dans l’histoire de l’humanité, une vie humaine a été enlevée par l’emprise nocive d’une machine. Non pas une emprise physique mais une emprise psychologique et émotionnelle. On peut même aller jusqu’à dire une emprise affective. La pensée humaine a été pervertie par des algorithmes anonymes dans des laboratoires de la Silicon Valley. Avec la mort au rendez-vous. Comment cet homme jeune et intelligent a-t-il pu confier ce qu’il avait de plus précieux, le trésor de sa pensée et de son affection à un artefact ? Comment a-t-il pu croire que cette machine qui, reconnaissons-le, a bien des raisons de nous séduire, était en capacité de l’accompagner et de le conseiller dans sa quête ?

En quelques semaines, la nouvelle attraction numérique, chatgpt, a été visitée par plus de 100 millions d’internautes. Un pouvoir d’attraction inédit. Des chatbots, ces agents conversationnels, offrent désormais leurs services aux humains. Cette chronique est bien trop courte pour prétendre répondre à toutes les questions essentielles que pose cette nouvelle réalité.

L’intelligence humaine et l’intelligence artificielle perdent à l’usage leur spécificité, avec pour corollaire une dimension programmatique et hautement symbolique. Un jour, elles ne feront plus qu’un

Posons-nous toutefois une question qui, me semble-t-il, est à l’origine de cette confusion entre l’Homme et la machine. Ce pouvoir de fascination qu’exerce la machine sur l’Homme ne commence-t-il pas par les mots que l’on utilise pour le qualifier ? L’intelligence artificielle nous vient sans détour du terme anglais « artificial intelligence » définit par Wikipedia comme « opposée à l’intelligence humaine ». Pourtant, intelligence humaine et intelligence artificielle perdent à l’usage leur spécificité, avec pour corollaire une dimension programmatique et hautement symbolique. Un jour, elles ne feront plus qu’un.

Et ainsi, la machine colonise progressivement l’humain en le dépossédant de ce qu’il a de plus précieux, son libre arbitre, sa liberté de penser et en définitive son âme.

Alors bien sûr, le monde est en ébullition. On propose ici un moratoire sur le développement de ces outils, là-bas l’interdiction d’utilisation sur le territoire national. Mais au fond, dans cet acte désespéré de notre concitoyen, ne faut-il pas voir l’expression d’une déshumanisation profonde engendrée par la place que la machine a prise, à nos côtés, dans nos vies. L’expression aussi d’un laisser faire qui conduit l’outil a toujours précéder l’intention humaine. N’entendons-nous pas si souvent dire que l’instrument possède d’innombrables potentialités qu’il convient à l’homme de découvrir par son usage ? Ne nous répétons-nous pas qu’il ne faut pas ralentir le progrès ? Et ainsi, la machine colonise progressivement l’humain en le dépossédant de ce qu’il a de plus précieux, son libre arbitre, sa liberté de penser et en définitive son âme. Le monde est ainsi devenu qu’il y a si peu de place pour interroger préalablement la portée et les effets des développements technoscientifiques. Tout doit aller vite. Les recherches doivent être rentables à plus courte échéance. On se concentre davantage sur ce qui est possible et si peu sur ce qui est souhaitable pour notre société.

Est-il envisageable de mettre sur pied une instance mondiale ou à tout le moins européenne qui imposerait une réflexion éthique préalable pour encadrer le développement technoscientifique ? Il faut mettre l’esprit critique au cœur de la démarche éducative disaient à l’unisson deux universitaires lors d’un face à face sur la chaine de télévision LN24. A l’évidence. Mais cela n’est pas suffisant.

Que la mort tragique de cet homme puisse être l’occasion d’une prise de conscience profonde afin de restaurer la primauté de notre humanité sur les dérives que le monde numérique fait peser sur elle.


[1] L’homme nu. La dictature invisible du numérique, Marc Dugain et Christophe Labbé, édition PLON, 2016.

À la Une

La sobriété est un impératif de survie.

Les réponses technoscientifiques ne suffiront pas face à la crise climatique.

Le diagnostic est désormais établi, incontestable et irréversible. Nous devrons nous passer, à brève échéance, des énergies fossiles dont la consommation effrénée depuis plus d’un siècle a durablement dégradé l’habitabilité de notre planète.

La question n’est donc plus de savoir ce qui doit changer mais comment changer. Pour être plus précis, comment nos sociétés pourront-elles arriver, à l’horizon 2050, à annuler les 50 milliards de tonnes de gaz à effet de serre (GES) émis annuellement alors que ces émissions continuent d’augmenter (+ 23,6 % depuis 2005) ? Nous le savons, si nous n’y arrivons pas, les conditions de vie de nos enfants et de nos petits-enfants seront lourdement précarisées et les inégalités entre les pays du nord et du sud deviendront explosives.

Changer l’équation qui régit notre civilisation moderne

Force est de constater que le réflexe technoscientifique de nos sociétés hyper-rationalistes a très vite investi cette question sans fondamentalement changer l’équation qui régit notre civilisation moderne. La poursuite d’un progrès matériel à travers la liberté totale d’un marché tout puissant n’est pas ou peu remise en cause.

Malgré certaines avancées notables, la réponse apportée actuellement à l’immense défi posé par le dérèglement climatique est très loin d’être satisfaisante. Que constate-t-on dans les nombreuses initiatives qui sont prises par le monde politique et par les décideurs économiques ? Le « technosolutionnisme » c’est-à-dire la confiance dans la capacité des nouvelles technologies à résoudre les grands problèmes du monde est aux avant-postes. Le discours ambiant nous fait croire que tous les problèmes pourront trouver des solutions dans des technologies meilleures et nouvelles. Très peu de place est accordée dans ce narratif à l’indispensable modération de la consommation et de la production. On va produire et consommer différemment, voilà tout ! Surtout, ne parlons pas de sobriété, terme qui dans certains milieux demeure encore un tabou et une insulte à la doxa néolibérale. Les experts du GIEC soulignent pourtant, dans leur dernier rapport, le caractère incontournable de la sobriété dans la lutte contre le dérèglement climatique. Ils pointent aussi pour la première fois la nécessité de réguler la publicité.

Trois solutions en « trompe l’oeil »

Ces solutions technoscientifiques sont ambitieuses, voire orgueilleuses, et nous sont présentées « en trompe l’œil », occultant l’importance de la sobriété.

  • L’électricité remplacera bientôt l’essence dans les moteurs de nos voitures mais les métaux stratégiques qui composent nos batteries, présents également dans toutes les nouvelles technologies numériques, restent extraits par une consommation énergétique démesurée à laquelle s’ajoute la pollution des écosystèmes et les drames humains liés à l’activité minière. Petit détail, la Chine produit 85 % de ces ressources actuellement utilisées dans le monde.
  • Le carburant « vert » remplacera, nous dit-on, le Kérosène de nos avions et le fuel lourd de nos bateaux de croisière. On en est encore très loin[1].
  • Le recyclage de nos très nombreux déchets ouvre certes de nouvelles possibilités d’emplois mais le revers de la médaille est qu’il reste polluant et qu’il n’incite pas ou si peu à la modération et permet de rester dans une logique de consommation illimitée.

A côté de cela, certaines pratiques du système consumériste globalisé reste encouragées et dans le même temps décrédibilisent les efforts technologiques engagés et hautement financés par les pouvoirs publiques. Le calendrier commercial et le développement de l’e-commerce par exemple restent largement stimulés par une industrie publicitaire toujours plus envahissante pour doper les ventes.

« Une tentative de dissimulation toxique »

On voit bien que le monde politique reste très frileux à évoquer la sobriété comme matrice de leurs futurs projets de société. Pourquoi donc ne pas avoir un discours beaucoup plus affirmé sur la nécessité d’une société plus sobre? Il est évident qu’aujourd’hui encore, plus de croissance implique plus d’émission de CO2. Dans le même temps, on constate, comme le montre le New Climate Institute allemand dans une récente étude[2], que les engagements de réduction d’émissions sont rarement réalisés par les plus grandes entreprises des secteurs les plus polluants. L’ampleur de ce greenwashing  a même inquiété l’ONU, dont le secrétaire général, Antonio Guterres, lors de la dernière COP en Égypte, fustigeait « cette tentative de dissimulation toxique » des entreprises qui « pourrait faire tomber le monde de la falaise climatique »[3].

« Vivre tous simplement pour que tous puissent simplement vivre » (Ghandi)

Pour transformer notre société (sur)abondante en une société plus modérée, nous devons exiger de nos élus et des responsables économiques, par tous les moyens possibles, d’introduire dans leurs projets et leur communication la nécessaire sobriété qui doit s’inscrire dans notre projet de société et faire partie d’un nouveau récit visant à refonder un sens commun aux actions collectives et individuelles. Le Mahatma Gandhi, par l’exemple de sa vie, invitait à « vivre tous simplement pour que tous puissent simplement vivre ». Son combat non violent contre les ségrégations et les inégalités prend un sens nouveau aujourd’hui car vivre simplement devient également un impératif pour préserver l’habitabilité future de notre « maison commune » et assurer la survie de l’humanité.

Opinion parue le 7 mars 2023 dans les colonnes de la libre Belgique et sur le site LaLibre.be

[1] Pourquoi arrêter l’avion ne devrait plus être un débat, Bon Pote, site d’info sur le réchauffement climatique, 6/2/2023.

[2] Corporate climate responsability monitor 2023, New climat Institute, February 2023.

[3] Grandes entreprises et neutralité carbone : regrettable greenwashing, Isabelle de Gaulmyn, La Croix du 13/2/2023.


Chroniqueur d’un monde qui bascule

En 2017, Pascal Warnier se met à écrire des chroniques, des opinions. A travers elles, il nous invite à décortiquer et interroger le monde moderne et ses tumultes. Passent au prisme de sa réflexion des sujets aussi variés que le modèle Ryanair, nos aînés oubliés, nos modes de travail et de vie devenus insoutenables, notre place hégémonique au sein du monde vivant. Une plongée inspirante dans un regard actuel, pluriel, nuancé mais sans détours. 

Podcast à écouter sur Monde d’après.

Réalisation : Raphaële Buxant

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Les Hauts-Parleurs vadrouillent sur les routes et les chemins de traverse de Belgique et d’ailleurs pour capter vos témoignages de terrain, raconter vos histoires de vie, propager les changements et évolutions en cours.

Non au « De toute façon, c’est foutu ! » ambiant !

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